De peer en peer

Je cite la section “Humeur” de Préf mag de ce mois-ci. Par Stéphane Bertheau. C’est délicieux.

Ce siècle sera virtuel ou ne sera pas.

1er Mars 2024.

Je crois bien que je suis tombé sur une véritable mine d’or.

La-haut dans le grenier, alors que je recherchais des numéros collectors de Préf mag version début de siècle tout papier, j’ai retrouvé une vingtaine de compact-discs presque neufs !

Un vrai trésor de guerre qui vaut — au bas mot — un demi-plein d’essence… La moitié de mon salaire !

Je suis sûr qu’ils appartiennent à mon « papa numéro un » et datent de la fin du siècle dernier, du temps où les voitures circulaient encore à Paris et où le contrat à durée indéterminée existait encore.

J’en avais beaucoup entendu parler, mais je ne pensais pas que je tomberais par hasard sur un CD original du vrai Freddy Mercury ! le vrai ! pas son clone qui culmine en haut des charts depuis cinq ans !

Quand je pense que des gens sont morts pour ces morceaux de plastique irisé, ça me fait tout drôle d’en tenir entre mes mains.

« Papa numéro deux » m’a souvent raconté l’acte héroïque des premiers révolutionnaires qui, fin 2006, avaient bravé la loi qui interdisait le téléchargement gratuit sur Internet. Quand ils ont été sévèrement réprimés, le peuple s’est soulevé, brûlant les magasins où l’on vendait la musique. Car, à l’époque, le son était payant et il fallait payer 15 euros (la monnaie qui a précédé le dollar en France) pour un petit bout de plastique que l’on appelait alors « album », en référence au petit livret en vrai papier qui l’accompagnait.

Mes pères se souviennent qu’en ce temps-là la musique se téléchargeait sous le manteau. C’était interdit, mais la mjorité des gens ne se gênait pas ! un peu comme la cocaïne aujourd’hui ! Cette répression était d’autant plus ridicule que leurs parents faisaient exactement la même chose au XXe siècle, en toute légalité, en copiant des grandes galettes en vinyle sur des petits boîtiers que l’on appelait « cassettes ».

J’aurais adoré que ma grand-mère me le raconte, mais elle est malheureusement morte de la grippe aviaire en 2008!

Mes papas ont participé au boycott des stars de l’époque, qui a causé la ruine des plus grandes maisons de disques. Pour exiger la libération des internautes emprisonnés, la population a déserté les salles de concert pendant un an et demi. C’est à cette époque que l’Olympia, faute de fonds, est devenu un sex-shop !

Mais c’est aussi en 2007 que Johnny Hallyday s’est retiré à Knokke-le-Zoute, que Lorie a tenté de se suicider et que Jean-Jacques Goldman a dû accepter un contrat Nouvelle embauche dans une usine de chaussures.

Comment ces gens ont-ils pu penser être les détenteurs d’une chose aussi immatérielle que la musique ?

Mes parents ont beau m’expliquer qu’il existait à l’époque des droits d’auteur qui permettaient aux plus célèbres de gagner grassement leur vie, je reste perplexe !

Aujourd’hui, grâce à la diffusion mondiale immatérielle (DMI), chacun peut diffuser gratuitement sa musique et se faire connaître. Comment faisait-on à l’époque pour faire entendre sa musique, quand on n’avait pas la chance d’être une star ?

Aujourd’hui, avec l’UCV (l’unité centrale virtuelle), mon écran est un agenda, un téléphone, un lecteur de films et de musique tout en restant relié constamment à l’Internet ; et tout cela est entièrement gratuit grâce au financement du gouvernement !

Évidemment, le système de géo-localisation permanente imposé par les autorités en contrepartie est un peu contraignant ! Mais la liberté d’écouter gratuitement la musique est à ce prix !

(tiré de l’avant-dernière page de Préf n°13)

J’aime beaucoup Préf, parce qu’il y a nettement plus de choses à lire et à réfléchir que dans Têtu.